Court-Circuit en cartes
Au bout des Chemins de traverse
Un an après la présentation de la création partagée Chemins de Traverse (randonnée spectacle dans l’espace public), une dernière action est venue clore le projet Court-Circuit. Cette action-recherche a été imaginée pour interroger la notion de trace laissée par le travail des artistes du collectif Freddy Morezon au cours des 2 années de résidence de territoire.
Qu’est-ce qui reste de commun aux habitants participants ?
Nous avons souhaité interroger la coopération à l’œuvre au sein du quartier Reynerie. Coopérer s’entend ici comme une dynamique où plusieurs personnes participent à une œuvre commune, où les liens se tissent dans un faire ensemble.
Nous avons repris le fil de la cartographie sensible, aux côtés de l’artiste plasticienne Eela Laitinen. Il s’agit de la quatrième cartographie sensible réalisée dans le cadre de ce projet. Cette approche permet de représenter un espace en y intégrant les perceptions subjectives : émotions, souvenirs, ressentis, opinions. Nous avons souhaité dans ce travail cartographique, utiliser l’imaginaire lié aux reliefs (vallée, pic, montagne) pour symboliser les degrés/nuances et l’intensité des coopérations.
La carte réalisée permet de rendre visible et lisible dans l’espace les lieux et les moments de coopération du quartier Reynerie et du projet Court-circuit.
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La carte réalisée permet de rendre visible et lisible dans l’espace les lieux et les moments de coopération du quartier Reynerie et du projet Court-circuit.
Une carte du « faire ensemble »
L’action s’est déroulée le 4 juin 2025, soit 1 an après la restitution du projet Court-Circuit. Elle a été présentée comme un atelier de réalisation de carte collaborative entre carte mentale et carte sensible. À partir de visuels dessinés par l’artiste représentant des éléments de légende cartographique et topographique, les participants ont imaginé des découpages/collages pour répondre à la question posée au début de l’atelier :
« Quels sont les endroits du quartier où vous faites des choses avec les autres ? »
Une grande feuille, posée à côté de la carte, présentait les 9 visuels créés par l’artiste. Il a été demandé aux participants de préciser des mots, une phrase sous chaque visuel-légende utilisé pour permettre d’affiner la lecture. Cela nous a permis d’observer, par exemple si le symbole de la montagne avait été choisi pour désigner un lieu de coopération forte.
Cet atelier a eu lieu en après-midi, dans le patio extérieur de la médiathèque Grand M. L’atelier était ouvert aux participants du projet Court-Circuit et au public de la médiathèque, habitants du quartier.
Environ vingt personnes ont pris part à cette action : membres de la chorale née durant Court-Circuit, partenaires du projet, artistes, enfants et parents fréquentant la médiathèque.
L’après-midi s’est achevé par un concert et un apéritif partagé.
Du topo-graphique à l’heuristique
Dès les premières réflexions autour du projet, nous avions le désir de faire émerger une carte numérique à calques superposables, offrant plusieurs niveaux de lecture.
Eela Laitinen a conçu le design de la carte support utilisée pendant l’atelier. Pensée comme une base la plus neutre possible, elle ne contient que quelques repères topologiques essentiels (le lac, la place Abbal…). L’artiste a également créé deux calques complémentaires : l’un pour localiser les lieux de coopération issus du projet Court-Circuit, l’autre retraçant l’itinéraire de la balade Chemins de Traverse.
La carte réalisée pendant ces deux heures d’atelier est, à première vue, un objet artistique abouti. Le fait de concevoir ce projet avec une artiste plasticienne oriente le résultat du côté de l’esthétique : couleurs, composition, soin porté aux formes… Comme les autres cartes produites dans le cadre de Court-Circuit, celle-ci affirme une dimension plastique.
Au-delà de cette première lecture, une seconde interprétation émerge. Le lac et ses abords apparaissent comme un point essentiel du quartier : la concentration de collages dans cette zone traduit son importance. Cette importance relève-t-elle uniquement de l’usage et de la fréquentation ? Ou bien y a-t-il là une qualité moins tangible, liée à un ressenti ou à une émotion ? À l’inverse, la partie nord-est de la carte, qui longe le périphérique, apparaît beaucoup moins investie graphiquement.
Écrire et dire son quartier : lieux de cœur et lieux d’accroc
En observant les apports artistiques, les mots choisis à l’écrit dans les légendes ou exprimés à l’oral pendant l’atelier, on voit que cette carte dessine des paysages émotionnels. Elle donne à voir les « lieux de cœur » du quartier, là où se vit quelque chose de l’ordre de l’expérience sociale, de la mémoire, du collectif. Elle raconte, à sa manière, le “faire ensemble” dans le paysage urbain de la Reynerie.
Étonnamment, les espaces où les habitants connaissent ou ont connu des tensions ou des troubles, ne sont pas ou peu matérialisés sur la carte. Ces « lieux d’accroc » sont pourtant bien présents dans le quotidien des habitants. Ils apparaissent clairement dans leurs discours. Les formes de relégation, de violence institutionnelle ou de destruction arbitraire, de disqualification, de domination et de pouvoir égrènent leurs commentaires.
Nous avons analysé les champs lexicaux, sémantiques des mots écrits dans les légendes. De cette lecture, sept grandes notions émergent :
Le passage, la traversée, l’arpentage « parcours, promenade, sentier, parcours urbain, passerelle, parcours jeu le long de la route »
La nature et la quiétude « havre de paix, agrément, oasis, j’aime beaucoup les arbres, parc, verdure, serpent de verdure, notre beau jardin »
L’eau « lac, l’eau, grenouille, sous-marin, rivière, oasis »
Les rencontres, le lien, la coopération et l’expression d’un bien être « Point culminant, pic de coopération, ici c’est chez moi c’est là que je joue, collectif, rencontre, le lieu de toutes les rencontres, endroit de cœur, meilleure expérience, rencontres surprenantes, Pyramide »
Les arts, la culture, la musique « chœur, couture, musique, chorale, écoute, sons, concert, médiathèque, centre culturel Reynerie »
La résistance, l’union, le collectif, la lutte « résistance, manif, TO7 et Ludimonde en flamme snif »
Le repas, la convivialité « manger les pâtisseries, la viande grillée, un sandwich de pois chiche »
Cette carte collaborative invite à différents niveaux de lecture du quartier, des plus concrets aux plus imaginaires (merci les enfants). On pourrait s’interroger si elle induit une hiérarchisation sensible du quartier tant les mots utilisés sont, en majorité, marqués par une expérience positive, un regard joyeux, parfois teinté de nostalgie, notamment vis-à-vis de ce que le projet Court-Circuit a pu faire émerger, activer ou raviver.
Elle nous indique que les espaces vécus où s’invente la coopération sont la traduction d’expériences positives et de réenchantement du quotidien. Apparaissent aussi des lieux que l’on veut protéger, dont on veut prendre soin. Parfois même réparer, comme le café associatif TO7 récemment victime d’un incendie. Ceux-ci sont matérialisés par des reliefs découpés en forme de cœurs. La carte esquisse une mise en récit des mobilités : on y lit des déplacements, des usages, des mobilisations, des lieux de transition. La carte révèle les contours d’une coopération en mouvement.
Elle donne aussi à entendre quelque chose : écoute, concert, musique, sons, chorale… Ces mots tracent une sorte de “cartophonie” du quartier. Peut-être n’est-ce pas anodin, quand on sait que Court-Circuit a été porté par un collectif de musiciens. Tous ces échos « donnent lieu » à une appréciation et une réappropriation de son cadre de vie. En formalisant la carte, les habitants s’interrogent sur ce qui compte pour eux, ce qu’il faut « prendre en compte », ce qui a de la valeur, ce qu’il faut protéger. Ils dévoilent ce qui fait sens. Ils « donnent du sens » à leur environnement et ce qui leur arrive.
La coopération, dans cette carte, n’est jamais imposée. Elle est vécue comme un plus dans l’expérience collective. Une mémoire militante ou oppositionnelle apparait. Une résistance se fait jour : coopérer, c’est aussi faire front ensemble. Prendre soin d’un lieu, défendre une idée et des valeurs. Les habitants évoquent beaucoup le « ils » contre le « nous ».
On y apprend aussi que la coopération passe par des pratiques partagées : par la table commune, le jardin, le fait de cultiver, cuisiner, partager. Ce sont là des sociabilités ordinaires mais essentielles.
Court-Circuit, Chemins de Traverse a pris forme au cœur du quartier Reynerie. Après 1 an à arpenter le quartier, rencontrer les habitants et les structures, des lieux se sont dessinés naturellement comme des points d’ancrage du projet.

2024 ⎮ Chemins de traverse – Phase 3
Carte issue des ateliers de cartographie sensible menés avec les enfants du Centre Social du Mirail. Elle représente le parcours de randonnée reliant le quartier du Mirail à la Reynerie, présenté au public le 8 juin 2024.
@Eela Laitinen

2024 ⎮ Parcours en utopie - Phase 2
Carte réalisée à la suite des ateliers de maquette sensible avec les CLAE de la Reynerie, TO7 et la Médiathèque Grand M. Elle retrace le parcours de randonnée imaginé par l’association En Quête de Patrimoine.
@Eela Laitinen

2023 ⎮ GR Universitaire – Phase 1
Carte représentant le parcours de randonnée autour du campus universitaire du Mirail, défini par les musiciens du collectif Freddy Morezon et le CIAM de l’Université Jean Jaurès. Réalisée lors d’ateliers de cartographie sensible réunissant étudiants, personnel de l’université et artistes du collectif, elle a été présentée au public les 10 et 17 octobre 2023.